mercredi 3 avril 2013

Entretien avec AEF Habitat et Urbanisme


« L'objectif de mon rapport est de créer un cadre juridique spécifique 'Copropriétés en danger' » (Claude Dilain à AEF)


« L'objectif de mon rapport est de créer un cadre juridique spécifique 'Copropriétés en danger' », explique Claude Dilain à AEF Habitat et Urbanisme, mardi 19 mars 2013. Le sénateur PS de Seine-Saint-Denis, et ancien maire de Clichy-sous-Bois, s'est en effet vu confier une mission sur la prévention et le traitement des copropriétés en très grande difficulté par Cécile Duflot le 24 décembre 2012 (AEF Habitat et Urbanisme n°10011). Les premières conclusions de ce rapport, qui sera officiellement remis à la ministre en avril, visent notamment à réformer le statut des administrateurs provisoires, afin de constituer une liste d'experts spécialistes des copropriétés à disposition du juge. Le sénateur est également favorable à « la création d'un établissement public de portage dans les copropriétés privées à titre expérimental en Île-de-France. »

AEF Habitat et Urbanisme : La ministre de l'Égalité des territoires et du Logement vous a confié une mission sur les copropriétés en très grande difficulté. En quoi cette mission s'inscrit-elle dans la préparation du projet de loi Logement et Urbanisme de Cécile Duflot?

Claude Dilain : Cécile Duflot entend modifier en profondeur la loi du 10 juillet 1965 sur le statut des copropriétés des immeubles bâtis. La ministre va de toute évidence s'appuyer sur le rapport de Dominique Braye [président de l'Anah] remis en janvier 2012 (AEF Habitat et Urbanisme n°6926). Mais il manque tout un pan sur les copropriétés en très grande difficulté, c'est-à-dire en cessation de paiement. On cite souvent la résidence du Chêne pointu à Clichy-sous-bois (Seine-Saint-Denis), mais il existe d'autres exemples, comme Grigny II (Essonne), ou La Bruyère à Bondy (Seine-Saint-Denis). Cette dernière, que les deux ministres Cécile Duflot et François Lamy ont visité en janvier dernier, est particulièrement emblématique des problèmes de gestion rencontrés par les copropriétés en très grande difficulté, puisque les trois chaudières sont tombées en panne au début de l'hiver, alors même que cette copropriété est sous administration judiciaire depuis douze ans. Cette situation montre bien que les outils dont disposent les pouvoirs publics et la justice pour redresser ces copropriétés sont insuffisants. 

AEF Habitat et Urbanisme : Comment se déroule votre mission? 

Claude Dilain : La ministre m'a officiellement confié cette mission le 24 décembre 2012, mais j'ai dialogué avec elle sur ce sujet dès sa prise de fonction. C'est un sujet qui me tient à coeur et que je connais bien, puisque j'ai été été maire de Clichy-sous-Bois pendant quinze ans. J'ai depuis procédé à une trentaine d'auditions, des syndics aux administrateurs judiciaires en passant par des juristes, des élus des municipalités concernées, des représentants de conseils syndicaux, ou des associations de copropriétaires, et je compte rendre mon rapport en avril. Ce qui est précieux dans ce travail, c'est que pour la première fois, les ministères du Logement et de la Justice travaillent de concert, alors qu'auparavant, ils se regardaient plutôt en chiens de faïence. 

AEF Habitat et Urbanisme : Que préconisez-vous pour redresser efficacement les copropriétés en très grandes difficultés?

Claude Dilain : L'objectif de mon rapport est de créer un cadre juridique spécifique et exorbitant du droit commun que j'appelle « Copropriétés en danger ». Ce statut viserait à donner les pleins pouvoirs à un expert, qui actuellement se heurte au droit de propriété des copropriétaires. Aujourd'hui, en voulant protéger la copropriété, la loi met les copropriétaires dans une situation grave, car l'état de l'immeuble menace la valeur de chacun des lots. Cette modification législative est toutefois délicate : elle nécessite d'étudier précisément les conditions juridiques et constitutionnelles d'une telle réforme, le droit de propriété disposant d'un statut particulièrement protecteur dans la Constitution. Ce serait un parallélisme avec le monde de l'entreprise, où quand une société dépose le bilan, l'administrateur provisoire a tous les pouvoirs pour agir dans l'intérêt des actionnaires et des créanciers. 

AEF Habitat et Urbanisme : Mais où mettez-vous le curseur pour estimer qu'une copropriété est en très grande difficulté? 

Claude Dilain : L'article 29-1 A de la loi du 10 juillet 1965 relatif au statut de la copropriété des immeubles bâtis fixe à 25 % le montant des impayés à partir duquel le syndic doit faire appel au juge. Nous pouvons imaginer que les copropriétés en très grande difficulté aient un niveau d'endettement supérieur à 25 %, mais ma position n'est pas arrêtée sur ce point. L'administrateur judiciaire pourrait également dans des cas très limités demander au juge de considérer la copropriété en très grande difficulté, alors qu'elle est en-deçà du seuil de 25 %. Cette définition aura en tout cas une valeur préventive : quand le syndic lancera un appel de fonds, afin d'anticiper le paiement des travaux, pour une valeur de 100, et qu'il recevra 40, les copropriétaires sauront qu'il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de ne pas payer. Je souhaite également que le président du conseil syndical puisse alerter le juge : actuellement seul le syndic peut engager la procédure, mais en général, il n'a aucun intérêt à le faire, puisque cela remet en cause sa gestion de la copropriété. 

AEF Habitat et Urbanisme : Le déficit de formation des administrateurs provisoires est souvent mis en cause. Qu'en pensez-vous?

Claude Dilain : Je n'ai pas de compétences particulières pour juger de la formation des administrateurs, mais je pense qu'il faut surtout revenir à une distinction qui existait précédemment entre la compétence civile et la compétence commerciale des administrateurs. Ils en sont d'ailleurs eux-mêmes conscients. En effet, un administrateur qui a l'habitude de travailler dans le domaine des entreprises, peut se retrouver à traiter le cas spécifique des copropriétés uniquement car il a été nommé par le juge. Or, même si dans les faits, le juge le choisit par sa réputation dans le traitement des copropriétés, il est indispensable de constituer une liste d'experts, établie par une autorité pluridisciplinaire, dans laquelle le magistrat aura la possibilité de choisir la personne la plus appropriée pour conduire un redressement efficace de la copropriété en danger. L'administrateur judiciaire qui s'occupe des copropriétés doit disposer de certaines compétences, avec notamment un aspect social fort à gérer : l'expérience acquise en matière commerciale ne peut pas suffire à gérer ces situations extrêmement délicates. 

Le dernier point que nous voulons clarifier avant de remettre le rapport, est celui de l'articulation entre l'administrateur judiciaire et les autres acteurs (préfet, maire, opérateurs) qui se penchent dans le cadre d'un plan de sauvegarde sur le redressement de cette copropriété. Par exemple, dans le cadre d'un plan de sauvegarde, le préfet décide de réaliser tels ou tels travaux, mais si l'administrateur judiciaire considère que ce n'est pas sa priorité, il ne mettra pas en oeuvre l'ordre de service en question. L'objectif de mon rapport est donc de bien coordonner l'action du juge et celle des pouvoirs publics. 

AEF Habitat et Urbanisme : Le portage de lots est-il pour vous un outil utile à mettre en œuvre dans le cadre de copropriétés en très grande difficulté? 

Claude Dilain : Bien sûr, c'est un outil efficace, et d'ailleurs le projet de loi de Cécile Duflot devrait prévoir la création d'un établissement public de portage dans les copropriétés privées à titre expérimental en Île-de-France. La ministre y est en effet très attachée, et la DHUP aussi. Un tel établissement serait notamment très utile pour lutter contre les marchands de sommeil qui profitent de la revente « à la barre » des logements par les personnes endettées, pour engranger une rentabilité de court terme et s'opposer ainsi à toute réhabilitation de l'immeuble. Dans une ville comme Clichy-sous-Bois, des logements F4 peuvent être vendus 30 000 euros, et loués ensuite à la découpe 450 euros la chambre et 750 euros le salon/salle à manger. L'établissement achèterait les lots, soit pour les démolir, soit pour les revendre à un bailleur social, pour enrayer cette spirale infernale des marchands de sommeil. Il ne faut en revanche pas sous-estimer la durée du portage qui peut s'inscrire sur plusieurs années. 

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